top of page

Les Mouchoirs

Combien de mouchoirs sortis depuis le premier du mois, pour de multiples raisons. Du nez coulant aux yeux qui pleurent, de la tache de vin essuyée sur la table à la buée collée sur les lunettes en sortant dans la rue, froide, gelée, humide comme un jour sans fin, ces mouchoirs jetés dans la poubelle, trainants au fond des poches, tombés sous les lits, réduits en boulettes dans la machine à laver.

Ah ! Ces mouchoirs pleins du nous même expulsé de nos narines et de nos yeux, de notre peau qui sue, de notre corps qui exulte, et d’autres choses encore qui appartiennent à chacun.

Je ne les jette plus.

Je les encadre, je les dispose les uns à côté des autres, régulièrement. Aucun pressé, serré, chiffonné, colo- ré ne ressemble à son voisin. Une touche de couleur déposée au pinceau, une bavure de feutre, une auréole de café, une déchirure orchestrée, alignée dans le pli, ailleurs, un demi mouchoir blanc immaculé, sa moitié a servi à caler la table du bistrot, bancale, où j’ai bu ma dernière bière. Le tableau prend forme. Le spectacle se montre de ces petits drapeaux blancs ou presque, ou pas du tout, autant de signes indiscrets de notre vie, de notre intimité, de nos retenues joyeuses ou de nos pauvres tristesses.

bottom of page